Michel Politzer
En octobre 2014 Michel Politzer, fils de Georges et Maÿ Politzer et auteur du livre "Les trois morts de Georges Politzer" (écouter l'émission de France inter "l'humeur vagabonde" http://www.franceinter.fr/emission-lhumeur-vagabonde-michel-politzer) s'est rendu en pélerinage à Piana pour raviver ses souvenirs de vacances d'enfant et d'adolescent chez Madame Périni, mère de Danielle.
Georges, philosophe, militant, résistant de la première heure, rédacteur dans L’Université libre et La Pensée libre, a été fusillé au Mont-Valérien le 23 mai 1942. Son épouse Maÿ a fait partie du convoi des 31000 avec Danielle Casanova. Elle n'est pas revenue d'Auschwitz.
Dans une lettre que Danielle Casanova était parvenu à transmettre à sa mère, elle écrivait : « Avec moi se trouvent deux amis que j’aime : Georges Politzer et sa femme. Ils ont un petit garçon de huit ans, Michel, qui vit avec ses grands-parents et ils sont sans ressources. Aussi, ma chère maman, je de demanderai de t’intéresser à lui comme s’il était mon fils. »
Sa mère Hyacinthe Périni a tenu parole.
L'émotion de Michel Politzer retrouvant la crique de son enfance
Voici un poème dédié par Michel à ses parents héroïques :
À L’OREE DE MA VIE
À mes parents
À l’orée de ma vie
que n’ai-je enfant
à l’instant du vide
questionné le vide des mensonges
des silences qui préservaient mes rêves
me rendant insouciant aux cris du monde
que n’ai-je ourdi d’un fil rouge
la mémoire des premiers jours d’absence
que n’ai-je pris
la mesure des hordes noires gammées
que n’ai-je su le seigle en herbe ravagé
l’or du tournesol cousu en étoiles
l’ombre démesurée des bannières de feu
plongeant les lumières au seuil des ténèbres
que n’ai-je entendu les flammes des brasiers
les chants gutturaux des parades
résonner aux accents des Walkyries
que n’ai-je connu les chemins clandestins
les mots de résistance
les apostrophes du philosophe aux cheveux roux
mon père
que n’ai-je su la traque milicienne
la morsure de la haine
les caves insonores
étouffant Schiller aux enfers
le bruit des chaînes
impuissantes à contraindre Descartes
le sifflement du nerf de bœuf
Que ne m’a-t-on dit Georges
pamphlétaire tonitruant
aux éclairs de génie
que n’ai-je entendu
son rire pourfendeur de la bêtise
que n’ai-je pu connaître
sa passion aveugle
sa foi désespérante
en un peuple paradant
au pied d’un rouge mausolée
avers riant des hordes
à bannières de sang de Nuremberg
Père mère mes parents lointains
que n’ai-je rempli les blancs de votre absence
de mots arrachés à l’histoire
avant que s’abatte sur vous la foudre
des bourreaux
L’horreur épuise les mots
laisse coi le conteur
l’interdit de paroles surnuméraires
la gorge se noue
foin de poésie pour dire le sombre caveau
silence ici
au-delà d’un mur infranchissable
un glas sinistre
étouffe son battant
des hommes de cuir
fauves hors d’humanité
jettent des lueurs de savane
broient les membres
déchirent les chairs
tout est ravagé
soumis
fors l’esprit
En un laps infini
l’ogre roux des Carpates
plonge son regard flamboyant
dans l’eau douce des yeux de Maï
ma mère
arrache la tunique qui l’étreint
dresse la tête meurtrie de coups
baise les lèvres aimées
murmure son amour
sa fierté de mourir
pour la terre qui va l’ensevelir
la France de Jacques et son Maître
Il lui faudra descendre le chemin
dans la clairière
devant le bois dressé de l’ultime station
face aux langues de feu d’un mur d’acier
pousser l’ultime cri
s’effacer de la vie
Que n’ai-je pressenti
le saule aux pleurs d’argent
buisson gravé d’ardents patronymes
planté au cœur du ghetto magyar
que n’ai-je su les forêts de stèles abattues
Que n’ai-je voulu rien
de tout cela connaître
dans mes primes années
blotti au cœur des mots
emporté hors du temps
sur les pages de mes tapis volants
Je ne sais rien
de ce qui m’a doté d’une conscience
hors les livres
je ne sais rien
de ce qui me tint à distance abyssale
de la parole divine
hors ma grand-mère basque
qui bouta hors
les corbeaux en soutane
noirs prédateurs
en quête de mon âme
Pied à pied je quittais le vide sidéral
gamin sans mémoire
je réinventai le monde
j’entrais par effraction dans le réel
arraché à l’enfance
sans précepteur sans viatique
tant bien que mal
Je me vois
travesti en icône blanche
surplombant les douves d’un rempart
guettant un bras clair
perçant de lointains barreaux
je vois une main blanche
dont chaque battement formait un mot
j’enfouissais à jamais les signes inventés
de ce sémaphore éphémère
inaccessible
Que ne m’a-t-on montré
les minuscules graphes d’amour de Maï
à moi destinés
de l’ultime missive
enfouie au cœur d’ une poupée de chiffon
Le temps s‘est étiré
sans que me soient connus
les wagons à bestiaux plombés
la trappe aux soupirs
aux râles
les mains agrippées au fer
et le chant d’arrivée
inaugural de douleurs infinies
les châlits grouillants de vermine
le brouet dans l’écuelle glacée
les nuits tremblantes de Silésie
les derniers frémissements
les corps à corps de l’amitié rouge
la corse passionaria de Vistale
plongeant ses yeux noirs
dans le bleu des yeux
pour toujours bleus de Maï la basque
au delà de l‘agonie
Je ne sus rien des fumées et des cendres
Ai-je fui gommé enfoui tout cela
ou l’ai-je jamais su ?
Egaré
jouet docile
anesthésié obéissant
arraché à mes rêves de soldats de plomb
juché sur des estrades revanchardes
otage enveloppé de drapeaux de sang
sur les lieux mêmes des horreurs accomplies
on me fit bateleur mémoriel sans mémoire
un micro pointant
dans le blanc de mon œil son doigt chromé
lançait au vent les noms des fusillés
que j’ânonnais
Des mots inconnus trop lourds pour moi
étrangers à l’argot de ma rue
ciselés
conformes à la ligne
à peine prononcés qu’oubliés
offraient un martyrologue rassembleur
à la multitude
fière d’entrer dans l’histoire
avec ses héros
Les houles frémissaient
tendant au ciel des poings serrés
les chants se perdaient
dans la ramure d’une clairière abhorrée
ou dans les combles géants
d’un vélodrome suintant la honte
à jamais témoins de l’abomination
Le fils !
Dans la bouche du Fou d’Elsa
ces mots tant de fois repris
m’enfermaient dans une prison redoutable
que pouvais-je donc entendre d’autre
sans m’arracher à la meute camarade
échapper à ces murs
construire un prénom
mesurer la distance de moi à moi
investir un champs où forger mes armes
choisir seul le sens de ma vie
homo artisticus advenu
entreprendre le périlleux voyage
loin de mes ombres tutélaires
Eux mes amours perdus dans la tempête
marchaient l’amble dans ma poitrine
J’ai longtemps tenu à distance
leurs pas sur le rivage inconnu
Allégé du poids de la douleur
l’esprit en éveil
libre de toute attache
je suis allé à leur rencontre
Enfin
Il n’y a de racines que mémoire vive
2016