Reportage de Florence Herve

La journaliste allemande Florence Hervé http://www.florence-herve.com/articles.html a fait partie d'un groupe d'allemands venus en Corse à la mi-septembre, sur les traces de la Résistance.

Elle a publié son reportage (en allemand) sur le site :http://www.jungewelt.de/2013/10-12/004.php

SUR LES TRACES DES PARTISANS

Notes de voyage dans les montagnes corses, le maquis et la Méditerranée

« (…) Ensuite vinrent les troupes italiennes le 11 novembre 1942. La Luftwaffe avait déjà attaqué les ports et les villes corses en juin 1940. Mussolini revendiquait la Corse. 80 000 soldats et les tristement célèbres chemises noires occupent l’île. Il y a un soldat pour deux habitants. Mais il y a de la résistance. Les « bandits d’honneur » s’organisent –le Front national lancé par les communistes devient le groupe plus important de la Résistance.

Fin juillet 1943, 4000 soldats de la brigade d’assaut SS « Reichsführer SS » arrivent en Corse. Bientôt suivis par 30 000 soldats de la 90ème division de grenadiers. Après la capitulation de l’Italie le 8 septembre 1943 la Résistance décida de ne pas attendre le débarquement et le sauvetage par les forces alliées. Et le 9 septembre elle appela au soulèvement. Le 4 octobre 1943, la Corse était libérée. La première région de France libérée.

Cette histoire mouvementée, les voyageurs attentifs peuvent en prendre connaissance dès leur arrivée à Ajaccio ou à Bastia. A Ajaccio il y a une plaque commémorative à l’aéroport « Hommage à la résistance ». Dans le port un monument montre un résistant qui protège les Corses avec un bouclier et chasse l’occupant avec une épée. La citadelle de la capitale de la Corse était un lieu de détention et de torture pour de nombreux résistants, parmi lesquels Fred Scamaroni, l’envoyé de de Gaulle, qui se donna la mort dans sa cellule pour ne trahir aucun nom.

 

Isaline Amalric-Choury,
nièce de l’héroïne de la Résistance Danielle Casanova.
Photo Thomas A.Schmidt

 

A Bastia, devant l’aéroport une plaque rappelle le dernier vol de reconnaissance d’Antoine de Saint-Exupéry : l’écrivain décolla le 31 juillet 1944 de la base US de Poretta pour un vol de reconnaissance avec son Lightning P38. Il ne revint jamais, l’avion fut descendu par la Luftwaffe au-dessus de la Méditerranée.

Dans le port, deux navires qui assurent la liaison avec le continent portent le nom des résistants Fred Scamaroni et Danielle Casanova. Cette dernière était issue d’une famille corse laïque et républicaine. Dentiste de formation, elle fut active dans le mouvement des jeunesses communistes, fondatrice et présidente de l’Union antifasciste des Jeunes Filles de France et organisatrice de l’Union des Femmes Françaises . Elle fut dénoncée et en 1942 déportée à Auschwitz où elle mourut du typhus en 1943. En 2009 elle a été faite héroïne de la Résistance. Aujourd’hui des centaines de rues, d’écoles et d’hôpitaux portent son nom.

La citadelle du port a été également un centre de détention et de torture. Alors âgé de 44 ans, l’instituteur Jean Nicoli, un dirigeant du Front national et responsable de la réception et de la distribution des armes parachutées ou envoyées par sous-marins, fut condamné par un tribunal militaire italien à être exécuté par une balle dans le dos. Il refusa et s’écria : « Vous lâches, vous n’avez pas le courage de me regarder dans les yeux ». Il fut immédiatement décapité. Dans sa dernière lettre à ses enfants il écrivit : « Soyez fiers de votre Papa… Comme seul signe de douleur je souhaite une tête de maure et des œillets. » La tête de mort avec le bandeau blanc – les armes de l’île – est le symbole de la libération du joug étranger. Chaque année, dans le lycée Jean Nicoli près du port, a lieu un rassemblement d’une centaine d’élèves, en souvenir du résistant – un ferry qui va de Marseille à Ajaccio porte aussi le nom du résistant.

Pour leur travail sur la vie de Fred Scamaroni et Jean Nicoli, les élèves du lycée Giocante de Casabianca à Bastia ont reçu le prix de la Résistance en 2011. Le thème de ce concours annuel était : « la répression de la Résistance par les troupes d’occupation et le régime de Vichy ». Les élèves du Collège de Luri, au nord de Bastia, dans une vallée fertile avec des vignes, des chênes et des châtaigniers ont également reçu ce prix. Le maire socialiste de ce village de 727 habitants, Georges Germoni, en est particulièrement fier. Cet ancien instituteur, dont le père et l’oncle ont participé dans le maquis à la destruction du pont de Santa Severa et au blocage de routes, rappelle le souvenir de tous ceux « qui ont jadis combattu et dont on ne parle pas ». Les goumiers, ces auxiliaires marocains des troupes françaises ne sont pas restés dans l’ombre de l’histoire. Entre Bastia et Saint florent, au col de Teghime, à une altitude de 960 m, se trouve un monument émouvant. (…)

140 km plus loin, dans la direction du sud-ouest, au bord du golfe féérique – et pas encore abîmé par les constructions – de Porto, au pied des étranges falaises de granit rose dites calanques, se trouve Piana, au-dessus de la baie de Ficajola. Le village avec ses briques rouges n’est pas seulement connu à cause de sa beauté. Ici habitait la famille de résistants Perini. La fille, une enfant audacieuse, venait y passait ses vacances et se baignait « beaucoup trop loin » de la plage de Ficajola.

Danielle a épousé le résistant Laurent Casanova et sa sœur le résistant et dirigeant du Front national Maurice Choury. C’est lui qui appela à la lutte armée contre Hitler le 9 septembre 1943. Il fut plus tard journaliste et historien, auteur d’un livre sur la Résistance corse, Tous bandits d’honneur. A la limite du village, à Vistale, se trouvent quelques tombes de la famille, dont celles de Danielle Casanova et de Maurice Choury. La fille de ce dernier et nièce de l’héroïne de la Résistance, Isaline Amalric-Choury vient justement, à l’occasion du 70ème anniversaire de la libération de la Corse, d’inaugurer une exposition à Ajaccio avec des documents sur la Résistance dans l’île, sur Maurice Choury et Danielle Casanova – « par devoir de mémoire ». Elle nous parle de la jeune fille rebelle armée d’un sens aigu de la justice. « Pour Danielle il y avait deux choses particulièrement importantes : l’émancipation des femmes et la mise en garde contre le danger hitlérien ».

Isaline ne cache pas que, petite fille elle avait des problèmes d’identité avec une telle famille de héros – « je ne serai jamais une héroïne, je suis nulle » –, pensait-elle souvent. « Enfants nous ne jouions pas aux cow-boys et aux Indiens mais aux Résistants et aux Allemands ». A dix ans elle reçut une poupée, fabriquée par Danielle Casanova dans la prison de Romainville, peu de temps avant sa déportation à Auschwitz – elle l’a précieusement gardée jusqu’à aujourd’hui. A 15 ans, elle s’est engagée dans le mouvement lycéen pour la paix en Algérie. Après ses années parisiennes comme conseillère en communication dans le gouvernement socialiste, cette retraitée de 70 ans est revenue dans le village de sa célèbre famille. Elle habite sur une colline à la limite de Piana, avec vue sur les Calanques et elle poursuit des recherches passionnées sur la Résistance. (…). »