Aperçu de sa vie

La vie de Danielle Casanova racontée par sa nièce sur Alta freqenza

Le 9 mai 2019, l'association des Amis de Danielle Casanova organisait une journée commémorative à Piana (Corse-du-Sud), dans le village de la résistante bien connue.

L'objectif de cette journée était bien entendu d'honorer la mémoire de Danielle Casanova, qui fut déportée à Auschwitz en Pologne, pendant la Seconde guerre mondiale, et qui n'en revient d'ailleurs jamais, puisqu'elle succomba à une épidémie de typhus qui toucha le camp, en mai 1943.

Aujourd'hui, ce devoir de mémoire est important et de nombreux élus insulaires étaient d'ailleurs présents à cette cérémonie, comme Jean-Guy Talamoni, le président de l'assemblée de Corse, et Gilles Simeoni, le président du conseil exécutif. La préfète de Corse a également participé à cette commémoration.

Écoutez Isaline Amalric Choury, présidente de l'association des Amis de Danielle Casanova:

 

https://www.alta-frequenza.corsica/podcast/storia_nustrali/danielle_casanova_racontee_par_isaline_amalric_choury_100228

 

 

 

Un aperçu de la courte vie de Danielle Casanova

 

Vincentella Périni, que l'on surnommait Lella, est née le 9 janvier 1909 à Ajaccio. Elle est la troisième enfant d'un couple d’instituteurs. Son frère aîné, André, est né le 30 mai 1901; sa soeur Marie-Leina est née le 4 mai 1905; plus tard naîtront ses soeurs: Renée le 21 mars 1914 et Emma, le 14 avril 1916. Tous les enfants Périni sont nés à Ajaccio. Leur grand- père maternel était juge de paix. Leur grand-mère, paysanne vêtue de noir, ne voulut jamais parler que le corse.

Vincentella passe ses vacances scolaires à Vistale, un petit hameau de la commune de Piana où vivent ses grands-parents. Fille d’instituteurs, la jeune Lella (c’est ainsi qu’on la surnomme dans sa famille) fait ses classes primaires en Corse, poursuit ses études secondaires à Ajaccio puis au collège du Luc (Var) où elle suit l'une de ses professeurs. Après un bref passage en classe préparatoire, elle s'inscrit à l'école dentaire de Paris. Elle y découvre l’Union fédérale des étudiants, organisation étudiante de gauche à laquelle elle adhère avant d'en devenir responsable. Vincentella se fait alors appeler Danielle et devient très vite secrétaire du groupe de la faculté de médecine. En 1928, elle s’engage dans les Jeunesses communistes de la faculté et milite dans les Ve et XIIIe arrondissements.

En 1933 Hitler arrive au pouvoir en Allemagne et en février 1934, les ligues fascistes tentent de renverser la République en France. En février 1934, au congrès d'Ivry des Jeunesses communistes, Danielle Casanova est élue membre d'une nouvelle direction du Mouvement. Dès le mois d'octobre, le nombre d'adhérents de la Jeunesse Communiste passe de 4 198 à plus de 15 000. En décembre 1935, ils atteignent 30 000.

Décision est prise de donner aux jeunes filles une organisation vraiment à elles. En décembre 1936, elle devient secrétaire générale de l’Union des jeunes filles de France dont elle dirige le journal. Les objectifs du mouvement sont la lutte contre le fascisme et la solidarité avec les républicains espagnols, le tout sur fond de féminisme et de pacifisme

Jusqu’à sa mort, elle n’a jamais cessé de militer, Elle fut la première à prôner l'épanouissement des femmes. Les femmes de sa génération s'en souviennent : Elle avait du rôle de la femme une conception très moderne, assez inhabituelle pour l’époque. En Décembre 1936, elle proclame que « la conquête du bonheur est pour la femme liée à son libre épanouissement dans la société, cet épanouissement est une condition nécessaire du développement du progrès social ». Pour honorer ce rôle précurseur, un timbre à son effigie sera émis le 8 mars 1983 à l'occasion de la première célébration en France de la journée internationale des femmes.

En 1937, lors du congrès international de la jeunesse à New York, elle affirme sa volonté de défendre la paix et la liberté dans l'union la plus large de toutes les forces opposées à la guerre et au fascisme. Son action s'étend désormais au plan international. Elle organise, avec l'Union des jeunes filles de France l'aide aux enfants de la guerre d'Espagne. Enfin, dés septembre 1939, elle entre dans la clandestinité pour mener le combat contre l’occupant nazi. Elle contribue à la presse clandestine, notamment pour « la Pensée libre » et fonde « la Voix des femmes ».

Dès l'annonce la guerre en 1939, c'est à Montreuil que se regroupent pour la dernière fois les jeunes filles appartenant aux l'Union des jeunes filles de France créée par Danielle Casanova. Cette dernière, montée sur un banc public du jardin public du square de la mairie harangue la foule et lui clame "Nous saurons faire notre devoir de Française". " Leur "devoir de Français", les Montreuillois ont su le revendiquer. Après juin 1940 et la signature de l'armistice, des contestations contre l'occupant naissent. Malgré l'abattement de la défaite, les premiers signes de refus se manifestent rapidement. La réaction vient d'abord des communistes dont l'action est tournée contre le régime de Vichy : lors de la première manifestation du 23 juillet 1940, ils forcent les portes de la mairie pour tenter d'y installer les anciens élus communistes destitués de leurs fonctions depuis 1939. L'ancien maire Fernand Soupé avait été déchu en octobre 1939. Plusieurs manifestants sont arrêtés. Vanessa Benech in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004

À partir d'octobre 1940 Danielle participe à la mise en place des Comités féminins en région parisienne et s’occupe des familles des prisonniers de guerre. Elle organise dans Paris de nombreuses manifestations contre l'occupant, notamment celles des 8 et 11 novembre 1940 suscitées par l'arrestation du professeur Paul Langevin, puis celle du 14 juillet 1941, ou l’on vit avec stupéfaction un immense drapeau tricolore sortir du métro tandis que résonnait la Marseillaise.

Lorsque Gabriel Péri et Lucien Sampaix furent fusillés ainsi que 100 otages, elle rédigea un tract qu’elle fit circuler :

« Malédiction sur les barbares allemands! Que le sang et les larmes qu’ils ont fait couler en ce noël tragique retombe sur eux ! (…) Portons le deuil de tous ces martyrs innocents. (...) En disant adieu à Gabriel Péri et à tous ces martyrs, jurons de les venger. Ils sont morts comme ils ont vécu au service de la France ! »

Elle fut, enfin, avec Albert Ouzoulias, à l'origine des “Bataillons de la jeunesse”, ces groupes armés qui donneront en 1941 le signal de la lutte contre l'occupant en tuant un officier allemand dans les couloirs du métro.

Filée depuis longtemps par la police française, Danielle est arrêtée le 15 février 1942, elle sera interrogée au dépôt de la préfecture jusqu'au 23 mars, emprisonnée ensuite à la Santé et enfin livrée à la Gestapo le 9 juin. Gardée comme otage politique au Fort de Romainville à partir du 24 aout 42, elle est déportée le 24 janvier 43 à Auschwitz ou elle mourra du typhus le 9 mai.

Dès son arrestation et jusqu'à sa mort, Danielle Casanova s'illustra par son esprit de solidarité et de résistance. Au Fort de Romainville, elle met en place une organisation clandestine disposant d’un journal, écrit et recopié à la main: « le Patriote de Romainville ».   Elle parvient à faire parvenir des lettres à sa mère depuis le dépôt de la préfecture puis du Fort de Romainville. Elles sont toutes empreintes d'un extraordinaire courage, d'un élan vital irrépressible, d'une confiance lucide en l'avenir, comme en témoignent ces quelques brefs extraits :

- Si je n’ai plus au-dessus de ma tête le soleil radieux de Corse, ni celui de l’Ile-de-France, j’ai du soleil plein le cœur; je suis calme et solide.
- A l’heure actuelle, c’est une fierté que d’être emprisonnée.
-Nous ne sommes jamais tristes. La souffrance n'attriste pas elle donne des forces.
-Si le ventre est creux, j'ai toujours bon pied, bon œil. Vois-tu, ils peuvent nous tuer, mais de notre vivant, ils n'arriveront jamais à nous ravir la flamme qui réchauffe nos cœurs.
-L'air est léger et l'espoir habite mon cœur ;  en fait, il y a élu domicile depuis toujours. Je connais la souffrance mais pas la tristesse, et je trouve la vie si grande et si belle.
-Nous ne baisserons jamais la tête ; nous ne vivons que pour la lutte. Les temps que nous vivons sont grandioses. Je vous dis au revoir ; j’embrasse tous ceux que j’aime.  N’ayez jamais le cœur serré en pensant à moi. Je suis heureuse de cette joie que donne la haute conscience de n’avoir jamais failli et de sentir dans mes veines un sang impétueux et jeune. Notre belle France sera libre et notre idéal triomphera.

Ce courage et cette volonté de résister et de garder dignité humaine ne la quitteront pas en arrivant à Auschwitz. Après l'angoisse du voyage en train, c'est l'horreur pour le convoi des femmes qui découvrent le camp de concentration, les cris des SS et les aboiements des chiens. Où sont-elles donc ? Elles ont peur. Danielle qui chantait faux souffle alors à une compagne : « la Marseillaise! ». Et les françaises passent la porte du camp, en chantant la marseillaise à tue-tête sous l’œil médusé des SS.

Elle a presque immédiatement établi le contact avec l’organisation clandestine. Et grâce à la complicité de Malhova (interprète slovaque) et la communiste Gerda Schneider elle trouve la filière internationale de la résistance..

Elle contribue à faire connaitre à l'extérieur la vérité sur le sort des détenus. Dés fin avril, début mai 1943, des tracts dénonçant l'horreur d'Auschwitz circulent en France. Elle se rend chaque soir dans le block 26 où sont parquées ses camarades, console les mourantes, vole des médicaments et soigne les malades.

Le 9 mai 1943, elle meurt du typhus, victime des visites quotidiennes qu'elle rendait aux contagieuses.

Mort de Danielle Casanova le 9 mai 1943

Madame Périni a appris en Corse le décès de sa fille en novembre 1943, suite à une lettre de juillet 1943 écrite par Marie-Claude Vaillant-Couturier à Auschwitz-Birkenau, lors de la quarantaine des survivantes du convoi : « Je suis bien triste qu’Hortense soit chez son père. Je pense aussi beaucoup au pauvre petit Mimi. Dieu merci, je sais que vous en prendrez soin ». Pierre Villon, époux de Marie-Claude, cherche à en comprendre le contenu avec Laurent Casanova. Hortense avait été un des pseudonymes clandestin de Danielle dont le père était mort depuis longtemps. Mimi, c’est ainsi que l’on appelle le fils de Maï. Le message est clair : elles ont mortes toutes les deux.

 

L'"Avant Garde", journal des jeunesses communistes,  évoque sa mort dans un article en 1943

 

En hommage à Danielle Casanova,  figure emblématique de la résistance féminine

 

Célébration de Danielle dans un meeting en 1945. 

Louis Aragon lit un extrait de son poème Musée Grévin, écrit pour honorer les victimes de la déportation mais également pour honorer et accueillir les survivants qui reviendraient de l'enfer. Dans ce poème il évoque la mort de Danielle et de Maie Politzer :

Madame Hyacinthe Périni, mère de Danielle Casanova, au premier rang , à côté de Marie-Claude Vaillant-Couturier

 

Auschwitz ! Auschwitz ! Ô syllabes sanglantes !
Ici l'on vit, ici l'on meurt à petit feu.
On appelle cela l'extermination lente.
Une part de nos cœurs y périt peu à peu

 

Limites de la faim, limites de la force
Ni le Christ n'a connu ce terrible chemin

Ni cet interminable et déchirant divorce
De l'âme humaine avec l'univers inhumain…

 

Puisque je ne pourrais ici tous les redir
Ces cent noms, doux aux fils, aux frères, aux maris,
C'est vous que je salue, en disant en cette heure la pire,
Marie-Claude, en disant : Je vous salue Marie.

Hélas les terribles semailles
Ensanglantent ce long été
Cela dure trop écoutez
On dit que Danielle et Maï........

Les mots sont nuls et peu touchants.
Maï et Danielle…Y puis-je croire ?
Comment achever cette histoire ?
Qui coupe le cœur et le chant ?

Je vous salue Marie de France aux cents visages
Et celles parmi vous qui portent à jamais
La gloire inexpiable aux assassins d'otages
Seulement de survivre à ceux qu'elles aimaient

 

Défilé à Ajaccio

 

 

«  Les morts, ceux qui rentrent dans l'Histoire, perdent avec le temps leur chair, leur voix, leur regard. Ce que Danielle a donné à l'humanité c'est sa personnalité ; si on l'oublie l'humanité perd cet apport ». Elsa Triolet - 1948

 

 

Des centaines de rues, avenues, boulevards, crèches et collèges, maisons de santé ont été baptisés de son nom après la libération.

Un Ferry portant son nom a été mis en service en 1989 pour assurer la liaison Corse Continent.

 

"En France, Danielle devient une figure emblématique de la propagande en direction des femmes. Dans l’histoire elle devient l’incarnation de l ́Héroïne de la Résistance. L’utilisation d’un personnage héroïque permet aux organisations politiques d’exalter les valeurs constitutives du groupe, de donner une image valorisante de ses militants, de mobiliser ou de susciter l’action comme par exemple Danielle Casanova. Elle a donc fait l’objet d’un culte très intense, il semble que l’exaltation de sa mémoire répond à la nécessité de rendre hommage aux sacrifices des femmes résistantes, dont elle le symbole. Il faut souligner la signification du travail des femmes pour leur indépendance économique, l’autonomie dans la pensée, le développement de la conscience, l’engagement social, et l’encouragement de l’esprit de résistance (source Gilzmer,

2003).

Rue Danielle Casanova près de l'Opéra à Paris

 

Parmi les divers monuments qui lui sont consacrés, il est possible de citer la statue de Romainville (Seine-Saint-Denis).

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À Romainville. La statue est posée sur un haut piédestal,
entre la mairie et l’église. La jeune femme semble
avoir brisé ses chaines. Photographiée en 2005,
la statue a été légèrement déplacée en 2011.

 

Tous les 10 mai des cérémonies commémoratives avaient lieu dans de nombreuses villes françaises.

 

cérémonie  à Vistale devant la stèle contenant les cendres d'Auschwitz.

 

Geneviève de Gaulle décrit le cheminement des héroines résistantes : « A un moment donné dans nos vies nous avons dit : ça je ne vais pas l'acepter, c'est quelque chose contre quoi je vais lutter, je vais me battre. (…) ce que nous avons en commun c'est l'inacceptable, donc un combat, donc un militantisme. Et nous avons accepté que ce militantisme nous coûte cher, que ce combat nous mette vraiment en danger de mort pour nous même et de souffrance pour ceux que nous aimons le mieux. Au mal absolu on ne peut opposer que la fraternité ; c'est ce que nous avons trouvé ensemble dans les prisons et dans les camps ;c'est cela que Danielle et Marie-Claude et bien d'autres ont eu en commun dans les camps. C'est cette fraternité qui dépassait tous les clivages. Danielle reste une héroine légendaire, (…) ce sont des figures exemplaires qui ont un rayonnement après leur mort ; on ne peut pas cesser d'en parler. Ce sont des gens qui par leur courage, leur force, leur noblesse ont été au- dessus, ont réussi à se surpasser, à se tenir debout. Danielle, c'est une femme qui s'est tenu debout. » in « Danielle Casanova : Au nom de toutes les autres » film de Marie Cristiani

 

"  Ils ont voulu l'anéantir, ils l'ont rendue immortelle! , c'est ainsi que s'ouvrit en 1945 une cérémonie commémorant la mort de Danielle. Louis Aragon y lut un extrait de son poème Musée Grévin, écrit pour honorer les victimes de la déportation mais également pour honorer et accueillir les survivants qui reviendraient de l'enfer. Immortelle, Danielle l'a été pendant des dizaines d'années suivant la libération. Elle représentait toutes les autres femmes qui, avec courage et abnégation, se sont surpassées en surmontant leur peur pour sauver leur pays et leurs camarades. Danielle Casanova fut donc érigée, dès les mois qui suivirent sa mort, en icône majeure de la résistance. Elle reste une figure exceptionnelle parmi les nombreux héros corses, à l'image de Marie de Peretti morte en déportation à Ravensbruk.(...) Cependant dans les années 80 une longue plage de silence a suivi, reléguant aux oubliettes de l'histoire, une des héroïnes françaises les plus honorables. Le rejet de l'idéologie communiste y fut pour beaucoup. Or nous savons bien que les polémiques politiques ne peuvent occulter sans dommage les hauts faits de l'Histoire. Car le devoir de mémoire se situe bien au delà de tout esprit politique partisan. Il reste heureusement aujourd'hui quelques grands témoins de ces jours sombres : quelques compagnons de la libération, et des associations de déportés qui s'emploient sans relâche à entretenir la mémoire. Il en est de même des associations d'anciens combattants comme l'ANACR, Il en est de même également des Amis de la résistance qui perpétueront ce devoir de mémoire lorsque disparaitront les derniers témoins. En 2009, Année commémorative du centenaire de sa naissance, Danielle Casanova a été élevée au rang d'héroïne nationale. Une reconnaissance tardive et cependant méritée." Extrait de Discours d'Isaline Amalric - Ajaccio, 10 mai  2010

 

Un combat pour la mémoire reste désormais à mener : que le nom de Danielle Casanova soit enfin inscrit dans les pages des hommes et des femmes célèbres des dictionnaires !